La mort
LA FINITUDE ?
« L’impossibilité d’une autre possibilité »
La mort est la plus évidente des préoccupations fondamentales. Alors que la vie est la « possibilité de la possibilité » (Kierkegaard), la mort est « l’impossibilité d’une autre possibilité » (Heidegger) c’est-à-dire la frontière ultime qui limite et structure notre existence. La mort viendra, et il n’existe aucune échappatoire. Il s’agit d’une vérité terrible, et nous y répondons par une terreur mortelle.
Il est possible d’aborder la mort sur un plan intellectuel et dépassionné. Pourtant, cette perception adulte n’est nullement comparable à la terreur tapie dans l’inconscient, une terreur qui se constitue à un âge précoce, bien avant le développement de la pensée conceptuelle, une terreur horrible, brute, qui existe en dehors de tous langage et de toute représentation.
L’angoisse de la mort
L’angoisse de la mort joue un rôle majeur dans notre expérience interne. Anticiper sa mort, ou celle d’un ami proche, d’un enfant ou d’un parent, est souvent source de peur et d’angoisse, de désespoir nihiliste. « La mort nous hante et gronde sur la surface, présence sombre et troublante sur les rives de la conscience « . Bien qu’elle soit omniprésente et possède de multiples ramifications aux niveaux les plus profonds de l’être, elle se voit massivement refoulée et n’est que rarement expérimentée pleinement.
Le conflit existentiel
En psychothérapie existentielle, le conflit existentiel clé découle de la tension entre la conscience de l’inéluctabilité de la mort et le désir de continuer à être puisque « Chaque chose, en tant qu’elle est en soi, cherche à persister dans son être » (Spinoza).
Nécessité pour survivre
Pour survivre, l’être humain doit développer une peur opposée, la peur de perdre la vie.
La mort présente dès notre enfance
Les néo-freudiens (Erich Fromm) considèrent que l’enfant n’est ni gouverné par ses pulsions, ni préprogrammé : c’est une personne qui a des dispositions innées mais qui est aussi entièrement modelée par son environnement culturel et social. La sécurité constitue le besoin fondamental de l’enfant. L’enfant peut rencontrer un conflit entre son besoin de sécurité, son besoin de reconnaissance et sa croissance personnelle : dans ce cas, la croissance est toujours sacrifiée au profit de la sécurité.
A l’équation de Freud : “Pulsion → angoisse → mécanisme de défense”, se substitue l’équation : Conscience des enjeux ultimes → angoisse → mécanisme de défense.
Selon eux, les enfants se préoccupent tôt de la mort (elle constitue pour eux l’énigme suprême). L’une des tâches majeures de leur développement consiste à gérer leurs angoisses relatives à la vulnérabilité et à l’anéantissement. Ils passent par des stades successifs de perception de la mort et des modalités de gestion de cette angoisse.
L’angoisse de la mort et les troubles du sommeil
De nombreux cliniciens ont émis l’hypothèse que l’angoisse de la mort constitue un facteur important de l’insomnie, chez les adultes comme chez les enfants. En nous endormant, notre coeur et notre respiration ralentissent, nous ne bougeons plus, nous sommes comme morts. En se terminant, la journée met fin à tous ses possibles.
Mécanisme de protection
Parce qu’il est terriblement angoissant et énergivore de penser à chaque instant que l’on peux mourir dans l’instant, la pensée de la mort est généralement et nécessairement contenue en dehors de l’esprit conscient.
Robert Jay Lifton, psychiatre et auteur, a proposé l’idée que les êtres humains répriment l’angoisse de la mort en tentant de réaliser ce qu’il a appelé « l’immortalité symbolique » par 3 stratégies :
– Le mode biologique, qui consiste à « survivre » à travers sa progéniture
– Le mode théologique, qui consiste à croire en une vie après la mort ou à la réincarnation,
– Le mode créatif, qui consiste à tenter de pérenniser sa présence à travers une ou plusieurs œuvres ou contributions.
Yalom ajoute que le déni de la mort, omniprésent, existe sous différentes formes. Il en existe deux modalités principales :
– « je suis quelqu’un de spécial » : La croyance, fortement enracinée de sa propre inviolabilité. Enfant comme adulte, nous nous accrochons à la croyance irrationnelle que les limitations, la vieillesse, la mort concernent peut-être les autres, mais pas nous, pas moi. A un niveau profond, chacun est persuadé de sa propre invulnérabilité. Les racines de cette croyance remonte à l’aube de notre vie, où nous sommes l’univers et où il n’existe aucune limite entre soi et les autres êtres ou objets.
– « Le sauveur ultime » (Un sauveur qui veille sur nous) : Cette croyance remonte aussi aux débuts de la vie où les parents veillent. (ex : ”Elle avait la terreur d’être seule : ce qui rendait terrifiante sa solitude était l’absence de cet autre magique et puissant au-dessus de nous, qui nous observe, anticipe nos besoins, offre à chacun de nous un bouclier contre notre destin, la mort”.)
Ces deux croyances (particularité et sauveur ultime) peuvent se révéler hautement adaptatives.
Double stratégies pour survivre
La plupart des gens se défendent de l’angoisse de mort simultanément via la croyance illusoire en leur inviolabilité et une croyance en l’existence d’un sauveur ultime. La personne avance alors dans la vie entre ses deux pôles de peur : la peur de vivre et la peur de mourir.
La tâche visant à satisfaire deux besoins : séparation et autonomie d’une part et protection et fusion d’autre part et la confrontation aux angoisses correspondantes constitue une dialectique à laquelle nous sommes confrontés toute notre vie.
Limite de la croyance du sauveur ultime
Cette croyance se révèle moins efficace que la croyance en la particularité personnelle, d’une part parce qu’elle est susceptible de s’effondrer, d’autre part parce qu’elle est plus limitante intrinsèquement pour la personne (Effondrement et échec de la stratégie : besoins de dépendance, faible estime de soi, mépris de soi, vulnérabilité, tendance masochiste, dépression à la suite de la perte ou de la menace de la perte de l’autre dominant).
L’angoisse veut devenir une peur
Pour Irvin Yalom, afin de perdre de sa toxicité, l’angoisse originelle (de la mort) se voit toujours transformée par le biais de nos mécanismes de défense psychique dont c’est la fonction. La peur est un courant à la surface de l’être, qui ne menace pas les fondations. Nous passons de l’angoisse du rien, traumatisante, à une peur de quelque chose pour laquelle nous pouvons mettre en place des mécanismes de protection (ex : Les phobies).
Il raconte son expérience : “Il allait à un congrès, il a eu un accident. Le congrès s’est ensuite bien passé. Mais dans les mois qui ont suivi, il s’est mis à ne plus vouloir aller dîner avec ses collègues alors que jusqu’à présent, c’était une joie pour lui. Il éprouvait une angoisse considérable. Aurait-il des choses intéressantes à dire, allait-il se ridiculiser ? Il a cherché à quel moment cette angoisse avait commencé. Il en a déduit qu’il avait géré l’intense angoisse de mort qui l’avait saisi lors de l’accident en la déplaçant à une situation plus commode. Son angoisse de mort originelle avait été transformée en enjeux mineurs comme l’estime de soi, la peur du rejet ou l’humiliation. Une fois qu’il a eu compris, l’angoisse n’a pas complètement disparu. Il a dépassé sa peur des déjeuners, mais il éprouvait des peurs nouvelles comme conduire, ou faire du vélo. Des mois plus tard, il se montra très timoré pour faire du ski. Outre ces peurs, il eut un autre changement : le monde entier lui paraissait précaire. Il expérimenta ce qu’Heidegger qualifiait d’étrangeté, cette expérience de ne pas être chez soi dans le monde et qu’il considérait comme l’une des conséquences typiques de la conscience de la mort”.
Nécessité de l’exploration
L’angoisse s’intensifie souvent lorsque la peur de quelque chose est appréhendée pour ce qu’elle est véritablement, à savoir la peur du néant, la fin de notre existence individuelle. L’angoisse de mort n’est pas immédiatement perceptible mais se décèle par un travail approfondi en thérapie sur les symptômes névrotiques, les rêves, les fantasmes, les éventuels épisodes psychotiques.
Il existe un danger à trop réprimer la mort
Pour contenir ces angoisses, nous érigeons des défenses contre la conscience de la mort, fondées sur le déni, qui modèlent la structure de notre personnalité et lorsqu’elles sont inadaptées, se traduisent par des syndromes cliniques .
Comportement névrotique
Un comportement devient « névrotique » lorsqu’il est extrême et rigide. Le névrosé refuse l’emprunt de la vie pour échapper à la dette de la mort. Il se libère de la peur de la mort via une autodestruction quotidienne partielle.
LES RAPPELS DE NOTRE MORTALITÉ
SOURCES D’ANGOISSE
La perte d’un être cher
L’angoisse de la mort découle ici de la réalisation de la perte inévitable d’êtres chers et de la conscience de sa propre mortalité.
La perte de nos parents
Une fois les parents disparus, plus rien n’existe entre nous et la tombe. Au contraire, nous devenons nous-mêmes la barrière entre nos enfants et la mort. leur décès nous rapproche d’une certaine manière de la mort.
La perte d’un enfant
La perte d’un enfant est souvent la plus grande perte qui puisse nous être infligée et nous portons simultanément le deuil de notre enfant et le nôtre. Les parents s’insurgent contre l’injustice de l’univers pour bientôt comprendre que ce qui s’apparente à de l’injustice est en fait de l’indifférence cosmique. La perte d’un enfant possède une autre implication majeure pour les parents : elle traduit l’échec de leur principal projet d’immortalité. Ils seront oubliés, leur graine ne prendra pas racine dans l’avenir.
Accidents ou incidents traumatiques
Des événements tels qu’un accident de voiture, la maladie, une catastrophe naturelle ou un autre incident traumatique, une pandémie, des guerres peuvent susciter une prise de conscience soudaine individuelle et collective de la vulnérabilité de la vie.
La vieillesse
L’entrée dans des phases de vie marquées par des étapes importantes, comme la quarantaine ou la cinquantaine, peut conduire à une réflexion accrue sur la mortalité et le temps qui passe.
La mort est partout
Le temps qui passe et nos choix représentent la fin de toutes les possibilités non réalisées, de tous les « pourraient être » que nous aurions pu embrasser.
L’ANGOISSE DE LA MORT EST NÉCESSAIRE ET UTILE
Témoignages
Une patiente cancéreuse : …”la vie est précieuse, il ne faut pas la gâcher ! tirer le maximum de chaque journée, d’une façon qui fasse sens ! repenser ses valeurs ! réévaluer ses priorités ! ne plus remettre à plus tard ! faire !”
Une autre patiente : “Moi j’ai perdu du temps. De temps à autre, il m’arrivait de ressentir très fortement que je n’étais qu’une spectatrice ou qu’une doublure regardant la pièce de la vie se dérouler dans les coulisses, mais toujours j’espérais, toujours je croyais qu’un jour je serai sur scène. Bien entendu, il y eut des moments où j’eus l’impression de vivre intensément, mais plus souvent qu’à son tour la vie ne semblait qu’une répétition de la « vraie » vie qui m’attendait.” – Irvin Yalom – Thérapie existentielle
Rappel de l’urgence de vivre
Nous avons besoin qu’un peu d’angoisse de mort s’infiltre jusqu’à notre conscience pour nous inviter à vivre plus pleinement, authentiquement, sans ajournement ni tromperie. « Si la réalité physique de la mort détruit l’homme, l’idée de la mort le sauve. » Car l’idée de la mort nous enjoint à adopter un mode de vie plus authentique, tout en accroissant notre joie de vivre. La conscience de notre mort agit comme un aiguillon nous permettant de passer à un mode d’existence supérieur.
« Un déni de la mort à n’importe quel niveau est un déni de notre nature fondamentale et entrave progressivement notre capacité à faire l’expérience consciente de notre vie. L’intégration de l’idée de mort nous sauve ; plutôt que de nous condamner à des existences empreintes de terreur ou de pessimisme, elle agit comme un catalyseur pour nous plonger dans des modes de vie plus authentiques, et elle améliore notre plaisir de vivre notre vie. » – Irvin Yalom – “Thérapie existentielle”.
« Face à la mort, comme fin absolue de notre future, et comme frontières de nos possibilités, nous sommes confrontés à l’impératif d’utiliser notre vie au mieux sans sacrifier la moindre occasion de vue – dont la somme « finie » constitue l’entièreté de la vie. » – V. Frankl – le thérapeute et le soin de l’âme
Sens de la vie
« La finitude, là temporalité, est non seulement une caractéristique essentielle de la vie humaine, mais aussi un paramètre réel de sa signification. La signification de l’existence est fondée sur son caractère irréversible. » – V. Frankl – le thérapeute et le soin de l’âme
Être prêt à chaque instant
“Dans la vie, nous devons constamment nous tenir prêts à être « rappelés ». L’homme doit finaliser quelque chose dans le temps et dans la finitude – C’est-à-dire qu’il doit assumer sa finitude et accepter consciemment qu’il y ait une fin, et que cette fin fasse partie intégrante du marché” – V. Frankl – le thérapeute et le soin de l’âme
Attitudes et vertus morales authentiques proposé par K. Jasper
Courage sans mensonge à soi-même, profonde sérénité en dépit d’une souffrance inextinguible, trouver la paix pour réaliser le caractère définitif de la mort, le tout dans l’acceptation sereine qui se caractérise par le calme, la patience et la dignité.
Extrait d’un discours du maître Osho
“Une personne qui vit vraiment n’a en aucun cas peur de la mort.
Si vous vivez correctement, vous en avez fini avec la mort, vous êtes déjà tellement reconnaissant, comblé. Mais si vous n’avez pas vécu, alors l’inquiétude constante: « Je n’ai pas encore vécu et la mort arrive. Et la mort arrêtera tout; avec la mort, il n’y aura pas d’avenir ». On devient alors inquiet, et on essaie d’éviter la mort.
En essayant d’éviter la mort, on continue de louper la vie. Vivez la vie. En vivant la vie, on évite la mort, on devient tellement épanoui que si la mort arrive à ce moment précis, on sera prêt. On sera heureux d’être prêt. Vous avez vécu votre vie; vous avez pris plaisir à l’existence ; vous êtes satisfait. Il n’y a aucune plainte, aucune rancune. Vous accueillez la mort avec joie. Si vous ne pouvez pas accueillir la mort, une chose est sûre : vous n’avez pas vécu.
Lorsque vous avez peur de la mort, vous continuez à trouver des excuses pour continuer à vivre. Que la vie ait un sens ou non, on continue à trouver des excuses pour la prolonger. En Occident, il existe aujourd’hui un engouement pour la prolongation de la vie. Cela montre simplement qu’il y a un endroit où la vie manque. Chaque fois qu’un pays ou une culture – commence à réfléchir à la manière de prolonger la vie, cela montre simplement une chose – que la vie n’est pas vécue. Si vous vivez la vie, alors un seul moment suffit. Un seul moment peut être égal à l’éternité. Ce n’est pas une question de longueur, c’est une question de profondeur ; ce n’est pas une question de quantité, c’est une question de qualité….
Le mot même de « mort » est un mot tabou, plus tabou que le sexe. Le sexe est de plus en plus accepté. Maintenant, la mort a aussi besoin d’un Freud pour être acceptée afin qu’elle ne soit plus un tabou et que les gens puissent en parler et partager leurs expériences. Il n’est donc pas nécessaire de la cacher ni de forcer les gens à vivre contre eux-mêmes. Dans les hôpitaux, dans les maisons de retraite, les gens s’accrochent simplement parce que la société, la culture, la loi, ne le leur permet pas. La durée de la vie n’est pas la question – la profondeur de la vie, l’intensité de la vie, la totalité de la vie – la qualité l’est…
Apprenez à vivre chaque instant et apprenez à mourir à chaque instant. Les deux sont ensemble. Si vous savez comment mourir à chaque instant, vous pourrez vivre chaque instant – frais, jeune, vierge”.
Un vieil adage affirme : « celui qui porte sa propre lumière n’a pas peur du noir ».
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